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16 novembre 2013 6 16 /11 /novembre /2013 08:40

Un prêtre catholique français, le Père Vandenbeustch, a été enlevé dans l'extrême-nord du Cameroun, à la frontière nigeriane, à Nguetchewé, jeudi dernier. Nguétchéwé se trouve à 70 km de N'Djaména, dans la même zone où une famille d'expatriés français a été enlevée l'an passé. L'enlèvement a été commis par une vingtaine d'hommes armés en moto, sans doute des islamistes de Boko Haram ou Ansaru. Il n'y a peut-être aucun rapport, mais, juste la veille, Boko Haram a été classée sur la "liste noire" des organisations terroristes par les Etats-Unis. 

 

Le père Vandenbeustch avait publié, le 10 septembre, sur le blog de sa paroisse d'origine, en France, une belle lettre, très littéraire, dans laquelle il décrivait quelques aspects sa vie de missionnaire au Cameroiun  : "Deuxième année au Cameroun" ( http://paroisse-sceaux.fr/Deuxieme-annee-a-Nguetchewe )

 .

 

 "Le « monde » s’éloigne un peu. Du moins celui qui était le mien et le vôtre. Il s’éloigne par la largeur des paysages si différents de ceux des Hauts de Seine, mais surtout par le style de vie des habitants. Aujourd’hui encore, je mesure avec toujours plus d’étonnement, comment le climat, les conditions de vie modèlent la culture, le langage et donc la façon de penser et de vivre..."

 

Il y a aussi de l'humour, un humour assez gras comme je l'aime :

 

"Dés que je regarde les traductions de l’Evangile en Maffa je voyage beaucoup plus loin, et je dois chercher la façon dont eux-mêmes comprennent pour trouver des images qui parlent. Ainsi le mot prier « Tsiy ray » veut dire littéralement « frapper les mains », car on frappe légèrement dans ses mains lors des cultes traditionnels. Le mot souffrance « saw ziy », veut dire… « manger sa merde », c’est imagé n’est-ce pas !!! Je vous laisse deviner la traduction du credo, « Jésus a souffert sous Ponce Pilate »."

 

Le père fait également état de la théorie dite de la "base arrière" : accueillir des terroristes sans les inquièter permet d'éviter les problèmes en les incitant à rester tranquilles, s'ils veulent continuer à bénéficier d'une base arrière. Malheureusement, dans le cas du père, ça n'a pas marché :

 

 "Les combats contre la secte islamiste font rage juste à côté. Il y a quinze jours nous entendions de chez moi les bombardements. Pendant trois jours l’armée du Nigeria a bombardé des refuges de Boko Haram. Mais cela fait des mois, voir plusieurs années que les autorités ont en fait perdues le contrôle de ces zones. Les réfugiés sont majoritairement chrétiens, là-bas dans beaucoup de localités c’est la conversion à l’Islam, la mort, ou le départ. Plusieurs catéchistes du pays voisins que nous connaissions ont été tués. Mais rassurez-vous la sécurité ici est bonne, car le Cameroun sert de refuge aux islamistes pourchassés, cela fait longtemps qu’ils ont installé des amis et des caches, et mis à part l’enlèvement de la famille française en février, ils n’ont pas de revendications et de « combats » à mener ici, du moins pour l’instant. Cette base arrière leur est précieuse !"

 

Le père transpire, il a aussi sa petite crise de palu. Tout cela est très vivant, on s'y croirait.

 

"Entre mars et juin nous avons eu une bonne saison sèche ! Pas plus chaude que l’année dernière, mais plus longue d’un mois. Je me passe bien de la "clim" et du "ventilo" faute d’électricité, le problème c’est d’être suant de jour comme de nuit. Pour être précis avec ce mois de plus la sueur commençait à attaquer légèrement la peau, mais c’est passé. Ce qui me fait rire ce sont les Camerounais du sud ou ceux des villes, qui meurent de chaud ici, juste pour quelques degrés en plus !"

 

Il y a aussi quelques petites fautes d'orthographe, mais qui n'en fait jamais ? 

 

"Depuis mon dernier message j’ai eu ma première crise de paludisme : Tout a commencé par un petit mal de tête le dimanche matin, puis à partir de 13h s’était l’extinction des feux progressive mais rapide, je me suis senti de plus en plus mou et fatigué. J’ai du aller à l’autre bout du village voir une famille de paroissiens, pour revenir c’est comme si je venais de faire 40 km. Rien de douloureux, mais j’avais la tête toute embrouillée incapable de comprendre ce qui se passait. De 17h à 20h j’étais chez moi scotché à un fauteuil sans rien faire, incapable de faire ou de vouloir faire le moindre geste. Comme la plupart des morts du palu que j’avais vu, l’ont été par anémie, j’ai eu un éclair de lucidité pour prendre mes médocs. Le lendemain au centre de santé j’ai eu la confirmation que j’avais un bon taux de parasites dans le sang. Avec le traitement pendant 4 jours ça va. J’ai juste repris un peu vite, du coup j’ai repris un coup de mou. "

 

Il y a des notations très fines, on se souvient que Labou Tansi parlait de "civilisation du silence" pour désigner cette Afrique centrale qui paraît pourtant tellement bruyante : 

 

 "Je commence à devenir plus familier, à comprendre leur façon de vivre et de s’exprimer. Bien que même entre eux la communication soit un peu frustre. On parle peu entre frères et sœurs, entre parents et enfants, entre époux et épouses, c’est surtout avec les amis que l’on parle. Quand je dis que l’on parle peu, c’est peu dire, car bien souvent on ne dit rien et on ne sait rien de ses enfants ou de ses frères et sœurs. Je lis aussi un peu sur l’histoire de l’Afrique, grand continent sur lequel finalement je ne savais rien. Et j’y gagne beaucoup, un de ces jours vous devriez en faire autant ?! "

 

On en fera autant. La fin de la lettre est prémonitoire :


"En relisant ce mot d’information, je trouve que tout cela est bien décousue, mais il est temps de l’envoyé tel quel. Il faudrait que je vous écrive la prochaine fois sur l’Islam ici, son histoire et son potentiel de tensions pour demain dans notre région."

 

Le "monde" s'éloigne, disait le prêtre, "par la largeur des paysages". Il ne s'agissait pas de ce sentiment "eurocentré" fréquent chez l'expatrié qui a l'impression en Afrique de vivre loin de tout, loin du monde, lorsqu'il s'éloigne de l'Europe,  sentiment un peu méprisant, comme si le coeur du monde battait en Europe. 

 

Il ne s'agissait pas non plus de la condamnation traditionnelle du "monde" et de ses tentations par le Christianisme, qui faisait du Diable le "Prince de ce monde" et invitait à y renoncer. Le missionnaire s'intéresse au monde, aux hommes qu'il côtoie, à leurs traditions et à leurs problèmes. La phrase du missionnaire était loin de tout stéréotype, elle reposait en réalité sur l'observation du paysage : le "monde" s'éloigne par un effet de l'agrandissement des paysages, ces beaux paysages du Nord Cameroun et du Sahel qui sont très ouverts, on y voit loin dans un air lumineux, et on y vit dans un monde plus étendu. Ecrire ainsi montre bien quel était l'état d'esprit du Père Vandenbeustch, modeste et l'oeil grand ouvert.

 

Aujourd'hui, le monde s'est encore éloigné du Père Vandenbeustch, cette fois c'est l'enfermement probable dans les cases de Boko Haram qui en est la cause. C'est une nouvelle expérience que pourra peut-être raconter le Père dans une nouvelle lettre lorsqu'il en reviendra.

 

 

 

 

 

 

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commentaires

G
Merci pour ce bel hommage. As-tu des nouvelles de lui ?
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