Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
2 avril 2012 1 02 /04 /avril /2012 18:18

« L'auteur du texte ci-dessus est un âne qui ne connaît rien ... », disait Delil à propos de moi, je crois. Je veux bien, explorons donc l'hypothèse. Ecrire sur l'Afrique est dangereux : on s'expose toujours à dire des conneries, des choses insultantes, ou à se faire insulter parce qu'on dit des choses qui seront prises pour des conneries ou des insultes.   

 

« Produit aberrant du délire dont est menacée toute domination, le discours colonial, pareil à un jour sans soleil, s'enroule dans l'épaisse pâte du mépris, de la condescendance et de la haine. Au même moment, le colon s'empiffre de nourriture, escalade le buisson du langage, s'abrutit de plaisir, pète et plonge dans l'ivresse. Il pince les mots. Il les griffe, les claque, les dilate et procède par écartement violent, par éructation. Face à lui, le colonisé n'est pas seulement couché sur le ventre. Le colonisé a constamment le col sur ce billot qu'est le langage du conquérant. A n'importe quel moment, le colon peut ouvrir sa bouche flèchée qui se baise elle-même. Puis, faisant mine de se brosser les dents, il peut faire tomber sur le col du colonisé cette hache convexe que sont ses mots.   

La guillotine qu'est devenu, ce faisant, le langage, peut dès lors s'engager dans l'exercice d'une violence d'autant plus sauvage qu'elle est à volets fermés, c'est-à-dire morne et vide, marquée au coin de la cruauté et du vertige. Elle peut dès lors, et dans une accélération jubilatoire, procéder par dissection, mutilation et finalement décapitation. C'est seulement ainsi que le colon peut, au bout du langage, nier l'existence du colonisé et sa subjectivité. », écrit ainsi Achille Mbembe dans De la postcolonie (Karthala, p. 229)

 

Mbembe, avec sa prose tellement violente qu'on pourrait semble-t-il lui appliquer mot pour mot ce qu'elle dit du discours colonial.

 

Ce fut d'abord Montesquieu, à l'époque des Lumières, avec son ironie ambigüe et enragée : « Le sucre coûterait trop cher, si l'on ne faisait travailler la plante qui le produit par des esclaves. Ceux dont il s'agit sont noirs depuis les pieds jusqu'à la tête ; et ils ont le nez si écrasé qu'il est presque impossible de les plaindre. » (L'Esprit des lois, XV, 5). L'ironie est une manière de dire le contraire de ce qu'on pense, mais Montesquieu prend tellement de plaisir dans sa célèbre justification de l'esclavage qu'il pense presque ce qu'il écrit, et son lecteur aussi.

 

Il y eut ensuite Hegel, le grand philosophe allemand du XIXe : « Le nègre représente l'homme naturel dans toute sa barbarie et son absence de discipline. .. Ce qui détermine le caractère des nègres est leur absence de frein. Leur condition n'est susceptible d'aucun développement, d'aucune éducation. Tels nous les voyons aujourd'hui, tels ils ont toujours été. Dans l'immense énergie de l'arbitraire naturel qui les domine, le moment moral n'a aucun pouvoir précis. Celui qui veut connaître les manifestations les plus épouvantables de la nature humaine peut les trouver en Afrique. Les plus anciens renseignements que nous ayons sur cette partie du monde disent la même chose. Elle n'a donc pas, à proprement parler, une histoire … Ce que nous comprenons en somme sous le nom d'Afrique, c'est un monde an-historique non-développé, entièrement prisonnier de l'esprit naturel et dont la place se trouve encore au seuil de l'histoire universelle. » (La raison dans l'histoire, textes cités par Mbembe, p. 225.) Certes, Hegel écrit au début du XIXe, les connaissances européennes concernant l'Afrique sont limitées et la colonisation est loin d'avoir commencé, mais on retrouvera à peu près (voire exactement) les mêmes idées dans la bouche de Sarkozy lors de son célèbre discours à Dakar en 2007. Ce n'est pas un discours colonial, c'est un discours à la fois pré-colonial, colonial et néo-colonial : bref, c'est un discours an-historique, intemporel, le discours éternel du Blanc sur l'Afrique.

 

Mais comment peut-on dire des choses pareilles ? Il ne faut pas sous-estimer le poids de l'ignorance. « Connaître les indigènes n'est pas chose évidente », remarquait Karen Blixen, la grande romancière auteure de La ferme africaine, d'après quoi fut réalisé le film Out of Africa. « Ils sonr ombrageux et timides. Pour peu qu'on les effraie, ils se contractent exactement comme des animaux que le moindre mouvement met en fuite ; ils s'éclipsent. Tant que l'on ne connaît pas bien un indigène, il est impossible d'obtenir de lui une réponse précise … Pour peu que l'on insiste pour arriver à plus de précision, ils se dérobent tout à fait et lorsqu'ils sont acculés, ils préfèrent recourir à quelque invention de leur cru destinée à nous égarer. » Ce qui est terrible dans toutes ces annotations, c'est qu'elles ne semblent pas toujours complètement fausses.

 

« Ce dont l'Afrique est le nom » dans le discours colonial est, si je comprends bien la conclusion de Mbembe, un miroir que l'Europe tend à l'Afrique : cette dernière y voit son propre masque. Si le reflet vu dans le miroir est violent, c'est parce qu'il décrit fidèlement l'image du masque qui s'y exhibe de fait. « Il s'agit bien de dangereux masques, d'apparences et d'ombres qui dépècent, détruisent et hébergent ce qui est déjà mort.... Mais si le miroir atteste bel et bien une présence réelle qui est, en même temps, une insoutenable figure, il ne sait nous dire ce qui participe du derrière de la figure, de son « en-deçà » et de ses perspectives, de ce que l'on pourrait appeler son magma. Le miroir est muet lorsqu'il s'agit de dire quel est le volume de la figure, sa teneur et sa chair. Il ne sait pas dire les lieux où la figure se subit, se peint elle-même, est transparente à elle-même, et ces autres lieux où elle est incirconcie, voire incirconscriptible. En effet, tant dans la lueur du monde qui s'avance que dans le commerce quotidien avec la vie, l'Afrique apparaît à la fois comme une trouvaille diabolique, comme une image inanimée et comme un signe vivant... ceci veut dire que l'ordre de vérité dans lequel ce que l'on nomme Afrique s'inscrit n'est pas univoque. » (De la postcolonie, p. 272)

Partager cet article
Repost0
2 avril 2012 1 02 /04 /avril /2012 17:52

On continue notre voyage, et de retour à N'Djaména, on franchit le frontière du Cameroun à Kousséri pour aller à Kalaloué.

Kousséri est une ville frontière à laquelle on accède depuis N'Djaména par deux ponts : le premier sur le fleuve Chari, à Chagoua, quartier dont j'ai déja parlé ; le second, après la frontière camerounaise, sur le Logone. On entre alors dans Kousséri. Il n'y a pas une grande différence entre Kousséri et une ville tchadienne : sauf qu'ici, les sacs plastique triomphent partout, alors qu'ils ont été interdits au Tchad, ce qui y rend les villes nettement plus propres.

 

eleph 14

 

Après avoir traversé Kousséri, on continue vers le nord-ouest, sur la route de Maroua. Cinq kilomètres en évitant les nids-de-poule et les motocyclistes, et inch'Allah on arrive à Kalaloué, qui est une réserve de chasse fréquentée par les éléphants, en saison sèche, qui viennent s'y rapprocher du fleuve.

 

eleph 2

 

J'y suis allé avec des amis. Maintenant que j'ai une plaque verte sur mon hilux, je traverse toutes les frontières sans problème. Ce matin-là, après quelques kilomètres de piste, on est tombés sur le troupeau d'une bonne centaine de bêtes. On a beau être blasé, c'est impressionnant. on laisse le moteur tourner, on descend de la voiture pour s'approcher en silence du marigot. Le troupeau est juste de l'autre côté, on distingue d'abord quelques animaux à la lisière des arbres, puis des bandes, puis tout un régiment. Ce ne sont pas de petits éléphants noirs de forêt solitaires comme au Gabon, ces bêtes farouches qu'on ne rencontrait dans les prairies de la Lopé qu'avec beaucoup de chance et de sueur : ce sont de grands éléphants gris qui se montrent avec indifférence.

 

eleph 5

 

eleph 3

 

Il y a quelques semaines, un gros troupeau d'éléphants a été braconné, plus à l'Ouest, au Cameroun. On dit que deux cents éléphants ont été abattus. Depuis c'est - paraît-il - l'armée camerounaise qui assure la protection des pachydermes. Mais les militaires et les braconneurs peuvent parfois être les mêmes personnes.

 

Un peu plus loin dans la réserve, on arrive au bord du Chari. On arrête les 4X4 et on sort quelques bières de la glacière.

 

eleph 10

 

Vous distinguez ici deux couleurs d'eau. La première est celle d'un bras du Chari qui en a été isolé par la baisse du niveau de l'eau. La seconde, plus bleue, est celle du cours du fleuve. J'admire l'élégance des jardins qui s'étagent sur l'autre rive. C'est quand même autre chose que les quais de Saône.

 

eleph 9

 

Au milieu du fleuve, ce tas de choses brunes et indécemment roses, c'est quoi? Un tas d'hippopotames. Les hippopotames vivent comme ça, non pas en troupeau comme les gens normaux, mais en tas dans une rivière. C'est élégant. On ne dirait pas, à les voir ainsi avachis, que ce sont probablement les animaux les plus dangereux d'Afrique (si l'on excepte les moustiques, bien sûr.) Chaque année, des piroguiers se font déchiqueter par une attaque d'hippopotames. A côté de ça, les lions sont d'inoffensifs gros minets.

 

eleph 12

 

L'hippopotame ressemble à un gros tonneau sur pattes. Son mufle est rose chair vineuse. Gide raconte que, ses piroguiers en ayant tué un en descendant le Logone, et l'ayant dépecé à bord, pour pouvoir en garder la viande,il lui fallut supporter des semaines durant l'odeur de la chair d'hippopotame pourrie; La question qui me vient par association d'idées, c'est pourquoi la chaîne de restaurants français spécialisés dans la viande de boeuf a-t-elle choisi de s'appeler Hippopotamus? Serait-ce qu'il existe des gens à qui la vue d'un hippopotame donne faim ?

Partager cet article
Repost0
22 mars 2012 4 22 /03 /mars /2012 16:01

On n'en n'a pas encore, les amis, je vous préviens,

fini avec le zoo, pendant que je vous tiens.

    zakouma14 

Je le dis sans rancune, il y a des gens

qui disent qu'ils n'ont pas trop aimé mon varan.

Voilà des girafes, comme ça ils seront contents..

C'est joli, les girafes, ça a l'air gentil, non? 

Ca a l'air gentil mais ça a l'air un peu con.

 

zakouma10

 

 Oh, un joli chevreuil ! c'est une gazelle, connard.

 

zakouma13

 

 Et ça, crâne d'oeuf, c'est quoi, qui trempe dans la mare ?

 

zakouma12

 

 

Ca, c'est un crocodile, espèce de tête de lard. 

 

zakouma15

 

Mais, peut-être que, j'y pense un peu trop tard,

Vous n'aimez pas les crocodiles, mes têtards ?

Vous avez tort, ça a le bon goût du homard.

 

zakouma16

 

Et les marabouts ? Vous aimez les marabouts ?

Les marabouts, c'est comme les girafes, mon chou.

Ca a l'air bien gentil, mais ça a un grand cou.

C'est vrai, ça fait niais d'avoir un si grand cou.

Tiens, ça me fait penser à quelqu'un, pas vous ?

 

zakouma11

Partager cet article
Repost0
19 mars 2012 1 19 /03 /mars /2012 08:46

Dans mon jardin, il y a de petits oiseaux au dos brun et à la gorge d'un très beau bleu, un bleu entre l'azur et la turquoise, le bleu du ciel dans les miniatures des Très riches heures du Duc de Berry. Il y a aussi d'énormes criquets, des criquets tigrés de noir et de jaune aussi longs que mon index.

 

Ce ne sont pourtant pas ce genre d'animaux qu'on prend en photo. Ceux qu'on photographie, ce sont les stars de la savane. En voici quelques unes.

 

zakouma1 

On est à Zakouma, une réserve de faune typique de la savane tchadienne. Après Mongo, la capitale du Guéra, on a laissé la route qui continuait vers Abéché, à l'est, pour tourner vers le sud, en direction du Salamat et d'Am Timan, non loin de la République de Centrafrique.

 

 

zakouma3

 

Des lions, des gazelles, des girafes, des antilopes ... On est en plein safari, dans une image stéréotypée de l'Afrique. Moi, en général, les animaux me laissent un peu indifférent, mais enfin, c'est l'Afrique rêvée, l'Afrique d'Hemingway et ses vertes collines.

 

zakouma7

 

zakouma8

 

  zakouma6

 

zakouma4

 

zakouma2

Partager cet article
Repost0
12 mars 2012 1 12 /03 /mars /2012 19:40

    Je vous propose un petit voyage à l'intérieur du Tchad. Première étape : le Guéra. On quitte N'Djaména vers l'est, il y a une nouvelle route goudronnée qui va (presque) jusqu'au Soudan. En chemin, on traverse le Guéra.

 

GUERA1

 

 

Le Guéra est un massif montagneux du Centre est du Tchad, avec Mongo comme capitale. C'est un peu le massif central du Tchad.

 

guera2

 

 Avec un environnement pareil, le Tchad devrait devenir une destination touristique renommée. Il suffirait de peu. On est juste à 300 km de N'Djaména, par une route goudronnée correcte.

 

guera3

 

 

guera 6

 

 Grand merci à Sophie et Mathieu qui ont pris et m'ont passé ces magnifiques photos.

 

GUERA55

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
3 mars 2012 6 03 /03 /mars /2012 08:05

Mohamed Al-Feytouri est un poète intéressant, et quoique Soudanais d'origine et naturalisé Lybien, il est emblèmatique d'une réalité qui couvre toute la bande sahélienne et se retrouve, sous une forme exacerbée au Tchad. Feytouri décrit ainsi cette réalité  dans Al-A'mal achchi'ryya al kâmila (Oeuvres poétiques complètes), trad Tahar Bekri, dans "Mohamed Al-Faytouri, poète arabe du Soudan", Cultures sud, n°169.

 

"J'écris sur le continent africain, ses problèmes et sur les souffrances de l'homme noir. Ma grand'mère qui m'a élevé et que j'ai cité plus d'une fois, s'appelle Zohra. Elle fut enlevée et vendue à un marchand d'esclave qui est mon grand'père, Ali Ibn Saïd Al Jahmi. Il est Lybien, de Benghazi, originaire d'Assiout en Egypte. C'est elle qui fixa en moi le sentiment de l'humiliation. Elle disparut de sa tente au Darfour, bien qu'elle fût princesse ... L'âme de cette femme m'habita depuis que j'étais petit enfant. C'est pour cela, quand j'ai commencé à écrire à Alexandrie, je n'ai pas écrit à partir d'une expérience personnelle mais à partir de la vie de cette femme qui me transmit son âme. Je n'ai pas exprimé mes souffrances mais les siennes, la douleur de l'exil et de l'esclavage qu'elle a vécus."

 

Faytouri est, si l'on peut dire, la conscience noire de la culture arabo-musulmane, une sorte de non-dit de la culture arabe. Arabe lui-même et très engagé dans le mouvement panarabe, Faytouri est en même temps un poète de la Nègritude. Le Sahel et le Sahara sont impliqués dans une double histoire : celle que l'on peut lire avec le modèle de l'Afrique centrale, dans laquelle l'homme noir est privé de sa dignité et de sa culture par la colonisation, avec son prolongement post-colonial ; et celle du modèle sahélien, dans lequel c'est la traite nègrière saharienne qui devient et reste semble-t-il déterminante aujourd'hui encore. 

 

Toute la bande sahélienne et le Sahara sont en effet peuplés de Noirs musulmans qui se disent Arabes mais ont été, historiquement, une réserve d'esclaves pour les Lybiens et les Egyptiens, et qui sont, encore aujourd'hui, l'objet du mépris des Arabes blancs dans les pays du Maghreb, comme en Lybie où les Zaghawa sont actuellement pourchassés alors qu'ils sont en position dominante au Tchad (le président actuel appartient à cette même ethnie).

 

Au Tchad ou au Soudan, ces peuples noirs du nord musulman sont devenus à leur tour les esclavagistes de leurs frères noirs, qu'ils percevaient comme "kirdis" (païens), "kufar" (infidèles) et "abid" (esclave) alors qu'eux-même se voyaient comme Arabes et musulmans, mais que les Arabes du Maghreb les voyaient à peu près comme eux-même voyaient les Sudistes. Le terme "zaghawa" lui-même, rapporte Julien de Pommerol, auteur d'un livre sur l'arabe tchadien, décrit un peuple qui, "parce qu'ils étaient noirs, leurs voisins du Nord les exploitaient et ils faisaient partie des esclaves que l'on exportait de Zawîla, capitale du Fezzan " (dans le sud de la Lybie).

 

Comme le dit crûment Beyem Roné, "Même ceux des Tchadiens du Nord qui qui se disent Arabes ici au Tchad sont, là-bas, traités de la même manière que tous les autres Nègres... C'est donc ce mépris subi que le nordiste musulman décharge sur son concitoyen du sud."  (Tchad, l'ambivalence culturelle et l'intégration nationale, p 206, l'Harmattan, 2000). Bien plus, les anciens royaumes tchadiens musulmans du nord et du centre, Bornou-Kanem, Ouaddaï, Baguirmi,  s'esclavagisaient entre eux beaucoup plus qu'ils n'esclavagisaient les sudistes animistes, note Beyem Roné qui cite un rapport d'un Anglais, Justin Alvarez, ayant recherché l'origine des esclaves ayant fui leur maître pour se réfugier au Consulat de Grande-Bretagne à Benghazi, entre 1860 et 1895. "93,7% des esclaves réfugiés avaient été prélevés sur les populations de l'actuel Nord!" remarque Beyem Roné. Soit seulement 7% de Sudistes !

 

Ce genre de remarques ont un caractère explosif à N'Djaména. Dans la plupart des cas, me semble-t-il, l'antagonisme Nord-Sud qui structure la vie culturelle tchadienne a complétement occulté cette réalité. Dans la conscience collective, ce sont les sudistes chrétiens-animistes qui ont été esclavagisés par les Nordistes musulmans, qui s'affichent eux-même comme des guerriers et des seigneurs, et ne se perçoivent certainement pas comme des descendants d'esclaves, ou alors c'est très secrètement et comme une blessure qui s'infecte. A vrai dire, je n'en sais rien. Je ne connais pas assez intimement de Nordistes. Il serait sans doute salutaire de remettre un peu de vérité historique là-dedans, mais il est clair que, surtout vu le niveau de scolarisation du Tchad, la mythologie hisoriographique et la haine mortifère qu'elle entretient a encore de beaux jours devant elle.

 

"J'écris à propos de ton époque,

comment s'est éteinte sa splendeur

comment ses jambes boitent et vieillissent

à chaque instant sous les neiges de l'éphémère

j'écris à propos de ton époque

Bidpay dit, le sabre embrassant le sabre : - fausse est ton époque, son feu est prisonnier

son soleil est naufragé

seule la poésie est l'homme et la vérité"

Faytouri, Souqout dabchalim, traduit par Tahar Bekri.

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
25 février 2012 6 25 /02 /février /2012 04:53

Comme je dis toujours, quand on voit ce qu'on voit et quand on entend ce qu'on entend, de nos jours, on a raison de penser ce qu'on pense. Mais nous n'échappons pas toujours à la tentation du cynisme. Voici donc, en écho à l'actualité internationale, un petit jeu-concours : élisez le groupe terroriste le mieux stylé, qui sera sacré Mister Kalach. Je propose trois concurrents : à l'ouest, à l'est,et au sud.

 

Nous connaissons déja Boko Haram, dont nous avons déja pu apprécier l'horreur particulière qu'inspire le port de la cagoule en treillis de camouflage, qui revisite en somme le thème classique du bas de soie couleur chair que portaient les braqueurs de papa, mais en y apportant une touche militaire et un je-ne-sais-quoi qui évoque irrésistiblement pour moi l'imaginaire de l'heroic fantasy. La même image apparaît aussi sur l'Express.fr, mais elle est alors présentée comme une photo de pirates du MEND, le mouvement pour l'émancipation du Delta du Niger, cet autre groupe nigerian, qui attaque les plate-formes pétrolières de la Shell Petroleum Compagny, offusqués qu'ils sont par l'inégalité dans la redistribution de la manne pétrolière. Ils opèrent dans le Delta du Niger, un cadre dantesque fait de marées noires sur fond de forêt équatoriale et de mangroves méphitiques. Donc finalement je ne sais pas si ce sont des pirates du MEND ou des jihadistes de Boko Haram, mais peu importe au fond, concentrons-nous sur l'esthétique.

http://www.lexpress.fr/actualite/monde/afrique/nigeria-les-rebelles-du-mend-ont-perdu-la-trace-des-otages_921911.html

 

Le Nigeria est à l'Ouest du Tchad. Si Nous allons vers le Sud, dans la forêt qui s'étend entre la Centrafrique, le Congo et l'Ouganda, nous rencontrons un autre groupe folklorique, la LRA de Joseph Kony, la Lord's Resistancy Army, un grouppe de guerilleros desperados pourchassé par toutes les armées de la zone, qui semble-t-il n'a pas encore été totalement exterminé. La LRA, c'est les villages rasés, les viols collectifs, le rapt d'enfants soldats, tout un code de l'horreur congolaise. Kony avait pour objectif d'instituer le Royaume de Dieu sur terre, il représente la variante chrétienne du fondamentalisme religieux. Ce qui est beau, à la LRA telle que nous la montre cette magnifique photo de Stephane Lehr (si c'est bien la LRA), c'est moins l'effort vestimentaire que l'extraordinaire talent d'acteur que montrent les combattants. On sent la détresse, l'égarement, la folie.

  

http://www.stephanelehr-photos.fr/reportages-page2.php

 

Dernier venu, un groupe paramilitaire soudanais, le JEM, Justice and Equality Movement, qui allie finement l'islamisme de Boko Haram à l'idéologie post-marxiste du MEND. Les gens du MJE opèrent dans le Darfour, à la frontière est du Tchad, où ils combattent les Janjaweed, ces sinistres milices pro-gouvernementales qui se sont rendues tristement célèbres lors des massacres soudanais qui n'ont pas manqué de nous émouvoir ces dernières années. Ils font donc peut-être partie du camp des gentils. Vous noterez la touche funky qu'apporte à ces combattants le port de turbans jaunes : on connaissait les magnifique turbans bleus indigo des rebelles Touaregs ; en écho et avec une belle complèmentarité dans le choix de la couleur, voici les turbans jaunes du Darfour

 

  

http://www.theepochtimes.com/n2/world/jem-clashes-intensify-in-sudan-35585.html

 

Partager cet article
Repost0
22 février 2012 3 22 /02 /février /2012 11:57

En discutant avec des humanitaires, j'ai appris incidemment qu'une famine est prévue au Darfour tchadien, dans l'est du pays, pour les mois qui viennent.

 

C'est l'occasion de lire les vers de Mohammed Al Faytouri, le grand poète soudanais.

 

"demain le cortege de la faim passera dans notre rue

verdissez; les années de disette

tombez ô pluie

noyez les champs de blé et de riz

noyez le fleuve

essuyez de votre main de cendre la tristesse des arbres ...."

 

 

 

Partager cet article
Repost0
7 février 2012 2 07 /02 /février /2012 17:08

SAM 0658 

 La couleur du Tchad est un bleu inhumain dominant la poussière grise, quelque chose de trop dur et de trop sec, qui attaque les muqueuses et fait pleurer les yeux.

 

D'habitude, ce sont les mezzins qui commencent à psalmodier à quatre heures du matin dans leurs haut-parleurs. Cette nuit, c'est l'odeur de la poussière qui m'a réveillé. Le vent s'est levé dans la nuit et une odeur très marquée a envahi ma chambre, comme si j'avais le nez dans les balayures d'un vieux grenier. Il n'est pas facile de décrire l'odeur de la poussière, mais elle fait partie de ces souvenirs d'enfance que chacun peut identifier subitement s'il la rencontre à l'improviste.

 

L'odeur de la poussière pique le nez et les yeux. L'extrêmité de mes doigts est devenue bizarrement sensible, ce doit être la sécheresse. J'ai reçu tout à l'herure un sms d'un petit jeune que je connais un peu, qui disait textuellement ceci : "monsieur,je vs informe queje suis malade depuis4jrs.Je toux avec sang,douleur au poitrine" J'avais envie de répondre quelque chose de compatissant, mais je lui ai  seulement demandé de combien il a besoin pour économiser les sms.    

 

Il n'a pas plu une goutte d'eau depuis septembre. Dehors, il y a une sorte de brouillard de très fines particules en suspension qui cache la lune, des nuées malsaines courent dans la lumière des lampadaires, le ciel est clair mais tout parait pourtant opaque. C'est vraiment étonnant. Ce n'est pas aussi dense que le sable qui empêche complètement d'ouvrir les yeux, on ne s'en rend pas tout de suite compte, mais on se frotte les yeux.

 

Comme le dit néanmoins un proverbe peul, "il vaut mieux avoir de la poussière sur les pieds que dans le cul" (authentique). Certes, mais quand même. 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
4 février 2012 6 04 /02 /février /2012 07:54

 

 Aujourd'hui, c'est l'Aïd el Mouloud, qui commémore paraît-il la naissance du Prophète. Des muezzin ont chanté toute la nuit, je suis crevé. Chose notable, c'est aussi mon anniversaire. Il en résulterait donc que je suis né le même jour que Mahomet. C'est dingue, non? Face à cette concommitance d'événements extraordinaires, enfonçons-nous un peu plus avant dans l'histoire du jihad peul.

 

 De 1804 à 1811, le jihad militaire de dan Fodio réussit à envahir les royaumes haoussa et à construire le plus grand empire africain depuis la chute des Songhaï au 16e siècle. Il s'étendait sur 1500 km, du Burkina Faso au Cameroun. Les hommes de dan Fodio étaient majoritairement peuls, mais il y avait aussi, parmi ses proches, depuis le début, un Haoussa, Abd al Salam et un Touareg, Jibril. Son frère, Abdullahi, commandait les soldats et son fils, Mohamed Bello, assura en 1817 sa succession à la tête de ce qui était devenu un empire.    

 

La question du sens du jihad de dan Fodio peut être précisée si on se réfère à la controverse qui l'opposa à Al-Amin Al-Kanémi. Les jihadistes avaient attaqué le vieux royaume du Borno-Kanem, sur le territoire du Tchad actuel et du Nord-Nigeria. Après qu'ils eussent détruit sa capitale, Birni-Gazargam, le roi ou « Maï » du Borno fit appel à un autre clerc, Al-Kanémi, pour reprendre les choses en main. Al-Kanémi parvint effectivement à repousser l'avancée de dan Fodio, mais ce qui nous intéresse c'est qu'il échangea également avec celui-ci puis avec son fils, Mohamed Bello, une correspondance approfondie dans laquelle est développée une controverse sur la légitimité du jihad. 

 

Al Kanémi, comme dan Fodio et Bello, étaient des intellectuels, ou ce que l'on peut qualifier d'intellectuels dans le contexte de l'époque. De même, les Maï de Borno étaient devenus de vieux sages adonnés à la contemplation et à l'ascètisme, ce qui explique d'ailleurs la chute du Borno. Cinquante ans plus tard, lorsque Rabah, un esclavagiste soudanais sanguinaire, détruira définitivement le vieux royaume de Borno, il y trouvera à nouveau des monarques adonnés à la méditation et détachés des réalités terrestres tandis que leurs populations vivaient, dans une certaine insouciance et avec des moeurs relativement libres. Un chroniqueur de Rabah décrit ainsi la capitale : "Dans Kouka (capitale du Borno à la fin du 19e siècle) la vie s'écoulait, douce et délectable. Le noble, le bourgeois, le meskine vivaient dans la corruption la plus absolue. Les princes du sang surtout, se signalaient par la dépravation de leur conduite. D'aucuns, même, se livraient à l'homosexualité. Le pieux et pacifique Mahamat Hachim était impuissant à mettre fin à cet état de choses. Or, pendant que la capitale du Bornou s'endormait dans cette quètude trompeuse, le ciel s'assombrissait : le réveil sera cruel !" (Arbab Djama BABIKIR, L'Empire de Rabeh, Dervy, 1950). Par contre, à la différence des royaumes haoussa, le sultanat du Borno pratiquait un Islam pur et très proche de celui des jihadistes peuls.   

 

C’est dans ces conditions que prend place l’argumentation d’Al Kanémi contre dan Fodio vers 1810. "Si vous dites : 'nous vous attaquons à cause de votre impiété', nous disons que nous sommes libres de toute impiété et que celle-ci est hors de nos terres. (...) Et si vous nous reprochez l'injustice dans les tribunaux (...) dans toutes les grandes cités de l'Islam, depuis l'Egypte jusqu'à la Syrie, il y a eu de la corruption et de l'oppression et on y persécute les orphelins, et ce depuis les jours des Umayyades jusqu'à aujourd'hui. Nulle époque et nul lieu ne partagent leur lot de nouveauté impie et de péché. Mais maintenant, si eux tous doivent être dits mécréants ainsi que tout ce qu'ils ont écrits, alors comment toi peux-tu te réclamer de leurs écrits pour justifier ta position et nous accuser de mécréance ! (...) Et quelle source d'étonnement et de scandale si toi-même, dans la profondeur de ta foi et de ta connaissance, toi tu manifestes ton amour du pouvoir et ta soif de domination !"

 

(D'après la traduction de Sanusi LAMIDO SANUSI, "Al-Kanemi before dan Fodio's Court", Lagos, 2003.

http://www.nigerdeltacongress.com/articles/alkanemi_before_danfodios_court.htm.)

 

Muhammad Al-Amin Al-Kanemi, sultan du Borno-Kanem, à sa cour. 

 

L'argumentation d'Al Kanémi est forte. Comment le jihad peut-il s'attaquer au Dar es Islam, la terre de l'Islam pur, au nom de l'Islam ? A première vue, Al-Kanemi parle la voix de la paix et du réalisme : nulle époque n'a jamais été exempte de corruption, et la guerre sainte contre la corruption, l'injustice et l'oppression est donc illégitime et inutile. Elle relève de ce qu’on appellerait aujourd’hui une « dangereuse pureté ». Mais, en réalité, on voit bien que pour Al-Kanémi, ce qui importe, c'est seulement la pureté de l'Islam. Dès lors, que de bons musulmans soient corrompus, qu’ils pratiquent l'oppression et l'injustice n'est qu'un péché et une "innovation" regrettable par rapport aux premiers temps de l’Islam, mais qui n'entame pas la légitimité politique de leur pouvoir.

 

La réponse des jihadistes peuls se trouve consignée dans le Nurul Alhab de dan Fodio, dans Infaq Al Maisur du Bello ainsi que dans le Tazyeen al Waraqat d'Abdullahi. Malheureusement, je n'ai pas eu accès à des traductions de ces textes. Je suis donc Lamido Sanusi. Dans quelles conditions le combat contre des co-religionnaires peut-il devenir légitime ? Pour dan Fodio, l'essentiel est que la loi des mécréants rend licite ce que la Charia interdit et qu'elle rend illicite ce qu'elle commande. Le problème n'est pas que les gouvernants mécréants commettent des péchés, mais qu'ils rendent légal ce qui est un péché. Le Jihad n'est pas dirigé contre les pécheurs, mais contre les sociétés où le péché est toléré ou même légal. Le gouvernement musulman doit être conforme à la loi islamique. Il y a chez dan Fodio une nette conscience de la suprématie de la loi : la vertu ou le vice personnels des dirigeants n’ont aucune importance, ce qui est déterminant c’est la vertu des lois et des institutions, peut-on dire pour paraphraser Robespierre. Cette idée est évidemment très moderne et peut mener à une forme d’Etat de droit contre le mythe du souverain sage et vertueux que défendait finalement le modèle bornouan. Mais elle conduit en même temps à une forme d’intransigeance à la fois sur le plan politique et religieux avec l'instauration de la Charia comme loi universelle. Dan Fodio appelle donc au passage d’un Etat musulman comme le Borno-Kanem à un Etat islamiste comme le Sokoto où c’est la Charia qui devient la loi. On peut dire qu’il invente ainsi l’islamisme moderne en terre africaine. 

 

Comme le dit Lamido Sanusi, « les maîtres peuls pouvaient être ouverts d’esprit et tolérants », comme en témoigne l’existence même de cette controverse, par laquelle ils acceptaient de placer le jihad sur un plan théorique, de discuter avec leurs ennemis. L’idée selon laquelle « l’islam est une religion facile, les maîtres doivent être tolérants envers les fautes du peuple et l’aider à se relever chaque fois que c’est possible » court dans tous leurs écrits, affirme Sanusi. Mais leur intolérance était théorique et juridique, ce qui eut comme conséquence concrète le sac de Gazargam et le massacre de sa population, ainsi que celle de bien d’autres villes, parce qu’il ne s’agissait pas d’éliminer des souverains corrompus pour prendre le pouvoir à titre personnel mais de détruire un système. De ce point de vue, le jihad peul devait devenir une guerre totale ou une forme de terrorisme, il ne pouvait se limiter à une simple série de coups d’Etat.    

 

D’ailleurs, Sanusi relève pour finir qu’Al-Kanémi lui-même finit par se ranger à l’argumentation des Peuls, puisque lui-même exila le Maï du Borno-Kanem pour prendre sa place avant de finir par le faire exécuter. Ses descendants ont d’ailleurs toujours aujourd’hui le titre que leur ont rendu les Anglais lors de la colonisation du Nigeria au début du 20e, et ils occupent toujours sa fonction à Maiduguri, capitale de l’Etat nigérian de Borno et berceau de Boko Haram. Quant à Sanusi Lamido Sanusi, qui est un professeur nigérian de l’université de Lagos, il ne cache pas sa sympathie pour l’idéologie du jihad peul.            

 

Partager cet article
Repost0